Affaire Harold Leckat : la justice à l’épreuve du pouvoir
L’arrestation spectaculaire du journaliste Harold Leckat, directeur de Gabon Media Time, à son retour d’une formation en France, continue de susciter indignation et questionnements. Derrière le tumulte médiatique, c’est la crédibilité même de la justice gabonaise qui se retrouve sur la sellette. La qualification de « détournement de deniers publics » retenue par les enquêteurs apparaît, selon plusieurs juristes, juridiquement infondée, le différend opposant la Caisse des Dépôts et Consignations à une société privée relevant plutôt d’un contentieux commercial. Cette confusion entre civil et pénal, si elle se confirme, soulignerait de graves lacunes procédurales, voire une instrumentalisation du droit.
Au-delà du fond de l’affaire, les conditions d’arrestation et de détention du journaliste inquiètent. Interpellé sur le tarmac de l’aéroport Léon Mba, alors même qu’il avait informé les autorités de son retour et de sa disponibilité pour une audition, M. Leckat aurait passé sa première nuit menotté et assis sur une chaise, selon ses propres déclarations. Des faits qui, s’ils sont avérés, violeraient les normes internationales relatives à la dignité des personnes détenues. Le silence du parquet sur ces allégations alimente le sentiment d’un pouvoir judiciaire muet face aux abus, quand il devrait être le garant des libertés individuelles.
Enfin, la concomitance entre cette arrestation et la ligne éditoriale critique du média dirigé par Harold Leckat n’échappe à personne. À peine un mois après la visite de Reporters Sans Frontières à Libreville, cette affaire jette une ombre sur les progrès récemment salués en matière de liberté de la presse. Plus qu’un simple dossier judiciaire, le cas Leckat apparaît comme un test politique, celui de la capacité de la transition à garantir l’État de droit, ou à céder à la tentation d’une justice instrumentalisée. Dans ce choix se joue, peut-être, la crédibilité même du renouveau gabonais.