Affaire Mbanié : un épisode révélateur de l’indifférence qui trahit le manque de patriotisme des Gabonais?
Le verdict de la Cour internationale de justice (CIJ), reconnaissant la souveraineté de la Guinée équatoriale sur les îles, longtemps disputées entre le Gabon et la Guinée Équatoriale, notamment Mbanié, Cocotiers et Congas, a provoqué une vague d’émotions, mais pas forcément celles qu’on aurait bien aimé voulu observées. Alors qu’à Malabo, la nouvelle a été accueillie par des scènes de liesse, des discours solennels et des célébrations patriotiques, du côté gabonais, l’atmosphère est restée aussi froide que le silence qui entoure désormais ces terres symboliques et autrefois bien sécurisées.
Pire encore, sur les réseaux sociaux, certains internautes gabonais ont vite fait de tourner la situation en dérision, multipliant ainsi des blagues et commentaires moqueurs, comme si la perte d’un pan du territoire national n’était qu’un fait divers sans importance. Cette réaction, symptomatique d’un désintérêt croissant pour les enjeux nationaux, remet, sans doute, cruellement en lumière le déficit de patriotisme qui gangrène la société gabonaise depuis plusieurs années.
Il aurait été légitime de s’attendre à un élan de solidarité, à des débats passionnés sur l’identité nationale, voire à des appels à une réelle réforme de la diplomatie gabonaise. Mais hélas, rien de tout cela ne s’est produit. Et à la place, c’est plutôt de la légèreté, parfois même le cynisme, qui ont dominé les échanges publics.
À titre de comparatif, la Guinée Équatoriale, elle, a bien su faire montre d’un patriotisme impressionnant. Les médias d’État ont célébré la « victoire diplomatique », les autorités ont organisé des manifestations de joie, et le peuple a répondu présent sur la toile.
Cette absence de ferveur du côté gabonais n’est sans doute pas un phénomène isolé. Elle s’inscrit dans une tendance bien plus profonde. Notamment, la perte progressive du sentiment d’appartenance nationale chez de nombreux Gabonais, notamment parmi les jeunes.
En effet, même dans le domaine culturel, cette tendance est particulièrement visible. Dans les cérémonies organisées ici et là par exemple, les DJs accordent ouvertement plus de temps d’antenne aux hits nigérians ou congolais qu’aux talents locaux. Dans les médias et sur les réseaux, les artistes étrangers sont systématiquement plus encensés que les Gabonais, même lorsque ces derniers fournissent des efforts et connaissent des réussites notables. Dans la même lancée, mêmes les festivals culturels financés par des promoteurs locaux déroulent souvent le tapis rouge à des figures internationales, tandis que les créateurs gabonais peinent à être reconnus chez eux.
Ce manque de reconnaissance interne finit parfois par démotiver les acteurs locaux, et semble bien contribuer à l’“érosion” du tissu culturel et identitaire du pays.
Cependant, il serait quand-même trop simple d’accuser uniquement la jeunesse. Car, le désintérêt envers les enjeux nationaux semble être aussi nourri par le comportement d’une partie des élites politiques et économiques. Le patriotisme ne se décrète pas, il se vit. Et quand les dirigeants eux-mêmes ne donnent pas l’exemple, comment espérer que la base suive ?
La perte des îles Mbanié et consorts ne doit pas simplement être vue comme une défaite diplomatique. Elle devrait être perçue comme un sonnette d’alarme qui révèle l’état de délitement d’un sentiment national autrefois fort, mais aujourd’hui fragmenté par la récurrence des coups encaissés.
Il est donc urgent que le Gabon repense les moyens de reconstruire un lien fort entre les citoyens et leur nation. Et cela passerait par une revalorisation de la culture nationale, une réforme de l’éducation civique, et surtout une politique d’exemplarité au sommet de l’État. Le patriotisme ne se limite pas à brandir un drapeau. Il commence par le respect de ce que l’on est, de ce que l’on a, et de ce que l’on perd. Car, en fin de compte, quand un peuple ne pleure pas la perte de ses terres, c’est qu’il a déjà perdu bien plus.
